Rivages
Je n'ai pas vu l'été qui taisait ses couleurs,
Sous l'ombre d'un soleil qui terminait en traître,
Les saisons d'un plaisir que j'avais pensé maître,
Rougeoyant de honte, sans fracas ni douleur.
Je n'ai pas vu venir ce tout début d'automne,
Les premières couleurs qui annoncent septembre,
Et les ombres du soir qui inondent la chambre,
Le cri du temps qui passe s'enhardit et m'étonne.
J'aperçois encore serré entre mes doigts,
Le porte-plume ivoire en charge d'écriture
Déliant sur le papier des trésors d'impostures,
Sous le regard cruel des pupitres de bois.
Il flotte encore tout près l'odeur de l'encrier
Ou celle de la craie, ou le bruit de la cloche,
Juste en fermant les yeux, tout me semble si proche,
Je n'avais pas pesé tout ce temps meurtrier.
J'avais huit ans alors, mon temps était sans âge,
La neige qui tombait, ou l'eau de la fontaine :
Le bateau éternel dont j'étais capitaine,
Pouvait voguer mille ans, sans crainte de naufrage.
Un jour j'ai eu vingt ans, je m'en souviens encore,
J'ai connu une femme et des heures si belles,
A oublier les ans, et d'autres plus cruelles,
Le matin sans juger, répétait nos aurores.
J'ignorais en ces temps que sans compter sa peine,
Celui qui s'enfuyait, tenait sans défaillir
L’inventaire précis, qui allait m'assaillir,
Un décompte malin, des jours et des semaines.
| | Je ne sais aujourd'hui, je ne sais plus hier,
Je regarde le flot qui m'emporte avec lui,
Je marche sur la plage en barbon éconduit,
Je jette mon mépris aux ombres cavalières,
Et je repense à autrefois.
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