Le vers L'étymologie du mot vers est instructive. En latin, versus (du verbe vertere, "tourner") désigne le sillon du laboureur, la ligne d'écriture et le vers. Le vers est ce qui structure le flux du discours par un retour répété au point de départ; il ajoute une articulation supplémentaire à la langue ordinaire (la prose). Le vers libre La forme la plus élémentaire du vers est donc le vers libre, qui suffit à créer une segmentation de l'énoncé qui ne soit pas celle qui est imposée par la syntaxe de l'énoncé lui-même. Cette "versification minimum" est celle qu'utilise Apollinaire lorsqu'il reprend un récit fantastique en prose (l'Obituaire, 1907) en le découpant par des retours à la ligne ("la Maison des morts", Alcools, 1913). Mais le vers libre est historiquement la forme la plus récente du vers (il date de la fin du XIXe siècle). Le vers rythmique et métrique La versification traditionnelle (celle qui concerne les vers réguliers) multiplie quant à elle les marques de la segmentation poétique. Elle en codifie les formes en exploitant les ressources de la langue qu'elle utilise. C'est pourquoi les langues qui utilisent un accent tonique pour conditionner le sens du mot utiliseront le vers rythmique (également dit "accentuel"), qui est déterminé par le retour des syllabes accentuées. Cette versification est celle de la poésie germanique, par exemple. En revanche, dans les langues non accentuées, où c'est la longueur des syllabes qui importe et donne sens, on utilise le vers métrique (dit aussi quantitatif, ou mesuré), composé de séquences rythmées par la succession des brèves et des longues et appelées pieds.
On distingue différents types de pieds : le dactyle, l'iambe, le spondée, l'anapeste, le tribaque et le trochée. C'est la versification de l'Antiquité, par exemple : la poésie épique d'Homère et celle de Virgile utilisent le vers de six pieds (l'hexamètre). Les types de vers et leur arrangement peuvent définir formellement un genre. Le vers syllabique est une sorte de vers métrique.
Le vers français est un vers syllabique, car c'est le compte des syllabes qui en fixe le rythme.
Au lieu du terme "pied" en usage dans la poésie métrique, on emploie de préférence celui de "syllabe" en poésie française. Le terme de pied ne serait pourtant pas tout à fait faux, car il est évident que le mot de syllabe en poésie versifiée n'a plus le sens qu'il a dans la prose. | | Le compte des syllabes et le e muet La principale différence entre la syllabe du langage ordinaire et celle du vers régulier tient au statut du e muet. Le e muet est un son qui a disparu au cours de l'évolution du français et dans le langage courant il ne reste prononcé que lorsqu'il suit deux consonnes et qu'il en précède une autre en même temps (loi des trois consonnes). La diction poétique ne suit pas cette règle. Ainsi le vers suivant ne se prononce-t-il pas en dix, mais en douze syllabes :
Et les Muses de moi, comme étranges s'enfuient (du Bellay).
Muses compte pour deux syllabes et étranges pour trois : les e muets sont ici prononcés. En revanche, en fin de vers le e muet ne forme pas une syllabe (enfuient). Avant le XVIe siècle, on ne comptait pas non plus le e à la césure (césure épique). Depuis, la règle générale exclut à la césure l'emploi d'un e muet. Au sein du vers, le e muet ne forme pas de syllabe quand il permet une liaison avec une voyelle qui suit immédiatement (comme étranges &), mais il en forme une quand il est suivi d'une consonne (les Muses de moi) ou que la liaison est impossible à cause d'un h disjonctif. La consonne peut être une consonne de liaison :
Faut-il que tous mes soins me rendent importune? (Racine).
Le cas du e précédé d'une voyelle est à part. Avant l'époque de Malherbe, il formait une syllabe au sein du vers. C'est pourquoi ce vers comporte dix syllabes :
Je suis ton coeur, aie pitié de moi (Marot).
Après Malherbe, le e précédé d'une voyelle ne compte plus, comme c'est le cas dans ce vers :
Cette nuit je l'ai vue arriver en ces lieux (Racine).
On appelle licence poétique les orthographes inhabituelles permettant d'obtenir un vers juste.
Miroir, peintre et portrait qui donne et qui reçois (D'Ételan).
Dans cet alexandrin, la suppression de la marque de deuxième personne à donne permet la liaison avec et (donnes et ferait trois syllabes). Ajoutons, concernant le compte des syllabes, que la semi-consonne notée comme la voyelle i peut être prononcée comme une voyelle à part entière : violon peut ainsi compter pour deux (synérèse) ou trois syllabes (diérèse). Des différents mètres De une à douze syllabes, tous les mètres (tous les types de vers) sont possibles :
le vers d'une syllabe est un monosyllabe,
le vers de deux syllabes est un dissyllabe,
le vers de trois syllabes est un trisyllabe,
le vers de quatre syllabes est un tétrasyllabe,
mais les vers de cinq et de six syllabes ne portent pas de nom particulier.
Le vers de sept syllabes est un heptasyllabe,
le vers de huit syllabes est un octosyllabe,
le vers de neuf syllabes est un ennéasyllabe,
le vers de dix syllabes est un décasyllabe,
le vers de onze syllabes est un hendécasyllabe
et le vers de douze syllabes est un alexandrin.
Hugo joue à les utiliser tous successivement dans les Djinns. L'alexandrin (vers de douze syllabes) est le vers le plus utilisé depuis le XVIe siècle, époque à laquelle il a supplanté le décasyllabe, mètre qui fut le premier à être attesté et qui est le plus souvent utilisé dans la chanson de geste. Est également courant l'octosyllabe, vers utilisé dès l'époque médiévale dans des genres aussi différents que le roman courtois et le fabliau.
Les vers courts (de une à six syllabes) s'emploient surtout dans les poèmes en "vers mêlés" (poèmes composés de vers de différents mètres). Les vers dont le nombre de syllabes est impair, au rythme sautillant, sont moins usités que les vers pairs. Verlaine utilise le vers inusité de neuf syllabes pour obtenir un effet sonore particulier :
De la musique avant toute chose
Et pour cela préfère l'Impair. |