La vague
Dans un passé lointain dont je ne sais plus l'âge,
Je me souviens, cela sans le moindre nuage,
De ces moments sereins sur l'estran d'une plage
Sous le regard narquois de barques au mouillage.
Un orage frondeur menaçait l'horizon,
L'été comptait ses jours vers une autre saison,
Deux goélands gaussaient de quelque trahison,
Je revois son sourire et j'en perds la raison.
Elle était sur son mur, toute humide de l'onde,
Où elle avait nagé, ondine vagabonde,
Près des voiliers ancrés, entre deux eaux profondes,
Farouche et solitaire, elle était seule au monde
Qu'elle semblait régir du haut de ses quinze ans,
Ignorant à ses pieds le flot des courtisans,
Que le ressac battait d'un silence apaisant,
Et rejetait au loin au delà des brisants.
Elle suivait des yeux une voile au lointain,
La belle immobile, sous les murs du fortin
Ignorant que déjà, passager clandestin,
J'investissais son coeur dans ce petit matin.
Sur sa plage déserte, elle écoutait le vent
Qui s'amusait comme parfois, comme souvent,
Dans ses cheveux salés à faire des noeuds savants,
Fasciné lui aussi par les yeux de l'enfant.
Elle appuyait ses mains sur l'arête des pierres,
Toujours à observer d'impossibles frontières,
Dont elle paraissait pour toujours prisonnière,
Recherchant le soleil, accrochant la lumière,
| | Qui sur son corps ambré, estompait ses couleurs,
Esquissait une danse, un ballet chamailleur,
Et de jeux interdits en combats cajoleurs,
Disposait autour d'elle un plein jardin de fleurs.
L'orage s'approchait par-dessus la colline,
Et paraissait à moins plus que d'humeur chagrine.
Elle allait s'éloigner, me laissant orpheline,
Je n'étais jamais plus qu'une vague taquine.
Sur le sable mouillé, son empreinte trop sage,
Comme seul souvenir, d'un fugace passage.
Le vent nous emportait si loin de son sillage,
Nous emportait si loin, si loin de ce visage...
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