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Juillet

Je m'appelle Marie, et j'ai quinze ans.
C'est formidable d'avoir cet âge là, c'est un peu comme un cadeau que l'on reçoit. On ne sait pas ce qu'il y a dedans, c'est une surprise. Tout ce que l'on en sait c'est que tout le monde dit que c'est un âge formidable.
Pourquoi j'en douterais, ce doit être vrai. D'ailleurs certainement qu'un jour moi aussi je dirai à ma fille les mêmes mots, c'est l'évidence même.
C'est l'été en plus, et la chaleur du matin se répand doucement entre les lames de mes volets, s'immisce jusqu'à moi et vient me chatouiller de ses parfums de la nuit.
Il y a une nuance de foin dans l'air, et les poules qui s'impatientent caquettent tout près pour réclamer un peu plus d'attention. Et à manger.
Il va faire beau aujourd'hui et le monde m'appartient. C'est donc vrai que cet âge est formidable quand tout commence ainsi. Si le premier jour s'annonce de cette façon rien que de penser aux trois cents et quelques qui restent j'ai la tête qui tourne.
- Marie !
Ce qui ne me dispense pas de me lever, la ferme a besoin de bras, et ce n'est pas en restant à gober les bruits et les odeurs du matin que je vais faire avancer le travail. Certainement pas.
- J'arrive maman !
Aussi vite que je peux, j'ai hâte de me mettre à l'œuvre et de commencer cette journée, je me dois d'en ôter le ruban le plus vite possible, après seulement j'aurai mon cadeau.
- Bon anniversaire ma chérie.
C'est un vrai cadeau celui-là, avec un vrai ruban. Une petite boîte que je vais examiner par petites gorgées pour ne pas me priver du plaisir de la découverte. Une petite boîte que je vais faire patienter à petit feu.
Comme mes quinze ans. Tout ce qui est nouveau et qui demeure à explorer est merveilleux, dés lors que le mystère dure encore. J'ai presque envie de ne jamais ouvrir ce petit paquet.
- Une broche !
- Elle était à ta grand-mère, je l'ai portée, désormais elle t'appartient, mais attention c'est un vrai bijou, une pièce que tu pourras transmettre toi aussi le moment venu.
A la campagne la messe pour ne pas faire de jeu de mots, c'est sacré. Alors y assister avec cette broche au revers de ma veste...
Les poules caquettent toujours. J'embrasse maman en la remerciant.
- Je vais nourrir les poules sinon je vais avoir droit à quelques coups de bec !
Maman me regarde partir avec un grand sourire complice, elle aussi a eu quinze ans, sans doute ça lui rappelle de bons souvenirs. Il faudra que je me penche sur le sujet.
Comment était le monde quand maman avait quinze ans...Le chemin de fer devait exister probablement, les voitures aussi, et peut être même l'électricité que l'on trouvait maintenant en ville.
-Piou piou !!
Les poules sont satisfaites. Je n'aurai qu'à la questionner après tout, c'est tellement simple de connaître tout ce qui faisait son quotidien. J'espère qu'il faisait beau comme aujourd'hui lorsqu'elle a eu quinze ans. C'est la moindre des choses. Il est impensable d'avoir ne serait-ce que des nuages. Je lève les yeux. Du ciel bleu aussi loin que porte mon regard, même au-dessus de la mer le ciel est bleu, je le vois qui plonge à l'horizon. On ne les distingue plus l'un de l'autre.
- Piou piou !!
Les derniers grains. Ensuite les lapins. Eux aussi ont faim, surtout Fanfan. Elle ne risque rien, je l'ai adoptée, elle n'est plus sauvage et se laisse câliner. Les autres je préfère les ignorer, je ne peux pas les sauver tous, alors je leur parle différemment. Comme à des amis de passage, je sais qu'ils ne vont pas rester parce que nous sommes dans une ferme, et qu'il faut vivre avec ce qu'elle produit. Aussi bien les lapins que les navets ou les pommes. Même s'il est vrai que je n'ai pas de mal à voir partir les pommes au marché. Et que je ne descends pas la falaise pour aller sangloter sur les rochers quand maman les épluche pour faire une tarte.
Quand il s'agit de déshabiller les grandes oreilles je suis moins brave, je pars alors me cacher sous la grande aiguille et au bord de l'eau je parle aux mouettes le plus fort possible pour penser à autre chose.
Pas de tristesse Marie. Tu as quinze ans aujourd'hui.
Quinze ans. Le monde entier est à mes pieds, je suis sa reine pour un an, il n'attend d'ordre que de moi. Quelle impression de puissance merveilleuse.
- Marie ?
Mon grand frère maintenant qui vient me souhaiter mon anniversaire, lui c'est un vieux, il doit avoir vingt ans, ou quelque chose comme ça, en tous cas il part faire son service militaire le mois prochain, il doit être vieux. Moi j'ai quinze ans, et tout est beau aujourd'hui en ce mois de juillet 1914.