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 Le curé

 Cela fait quelques temps déjà, un an, ou dix,
 Qu'il questionne le ciel d'un regard d'inquiétude,
 Son esprit tourmenté cherche un geste complice,
 Qui le replongerait, ravi, à son étude.
 
 Mais le ciel se complaît à garder le silence,
 Impassible et secret, il a la tête ailleurs,
 D'autres chats à fouetter qui entrent dans la danse,
 Il s'occupe plus loin, de les rendre meilleurs.
 
 Il ne se souvient plus de ce jour comme un autre,
 Où il s'était tourné tout d'un coup vers la croix,
 Les larmes dans les yeux, en bien mauvais apôtre,
 Avec ce doute honteux qui enflammait sa foi.
 
 Il demandait si peu, une mèche rebelle,
 Un nuage pressé, accroché dans le ciel,
 Un oiseau occupé, battant à tire d'aile,
 Une abeille et sa fleur, toutes deux à leur miel.
 
 Une bise légère emportant tout l'automne,
 Le cri d'un vieux hibou, perdu dans les charpentes,
 Un éclair même pâle, un orage qui tonne,
 Un lapin apeuré qui dévale la pente.
 
 Ca l'avait pris ainsi, un dimanche ordinaire,
 Comme on cueille les primevères au printemps,
 Comme un soir de pardon au petit séminaire,
 Et le doute cuisait sans se taire un instant.
 
 C'était chaud et malsain comme un vin de misère,
 Un champ de blé couché par un vent criminel,
 Un rayon de soleil sur un vitrail austère,
 Un sermon désolant sur un ton solennel.
 
   Le curé attendait avec ses souvenirs,
 La passion de servir s'en allait incrédule,
 Peu encline un seul jour de vouloir revenir,
 Dans le vent et le froid d'une foi funambule.
 
 Il regardait la croix, chaque jour davantage,
 Relisait sans cesser d'anciennes évangiles,
 Priait un Christ ami, tout à son avantage,
 Serrait contre son cœur, une vierge gracile.
 
 Il lui restait ces longs moments de solitude,
 Tout en haut du clocher les yeux sur l'horizon,
 Cherchant dans le lointain quelque autre certitude
 Qui lui viendrait soudain, jeter son oraison.
 
 Il embrassait la mer, du haut de sa retraite,
 Et les jours de gros temps, avec ces vieux marins,
 Qu'il connaissait si bien, contre vent et tempête,
 Il bataillait près d'eux, debout devant le grain.
 
 Si le soleil donnait, il se brûlait les yeux
 En fixant le soleil, imaginant dans l'ombre
 Qui noyait son esprit, un monde merveilleux,
 De beauté et d'amour, émergeant des décombres.
 
 Et le temps s'écoulait au calme des saisons,
 Sur la pointe des pieds, en mortifiant son cœur,
 Offensant son amour, outrageant sa raison,
 Il mourrait doucement en bénissant ses peurs.
 
 La foudre un soir d'orage avait frappé l'église,
 En jetant le curé tout en bas de son lit,
 Eparpillant au sol ses plus sottes hantises,
 Qui gisaient maintenant aux marches du parvis.
 
 Tous les gens du village jurent comme un seul homme,
 Que le curé depuis, tout en haut de sa chaire,
 Est métamorphosé, a bien changé en somme,
 Qu'il respire la joie, après qu'un soir, l'éclair...